Aujourd’hui dans Com’On Leaders nous souhaitions discuter du greenwashing. Comment l’éviter, mettre en perspective nos biais et nos certitudes, approfondir la perception de ceux qui pourraient nous accuser… Quelles sont les bonnes pratiques pour en réduire les risques ? Quelle est le rôle de l'information comme base de confiance et de communication ? Quelle place communicationnelle pour un DirCom sur ces enjeux de marques ? Toutes ces thématiques, nous allons en parler avec Yonnel Poivre Le Lohé, Consultant en communication responsable, formateur, entrepreneur et auteur de l’ouvrage « Éviter le greenwashing » - Ed du Trilogue à destination des communicants. L’ouvrage est un guide pratique à partir d’entretiens et finalement une interrogation qui vient d’un cheminement intérieur de plus de 15 ans d’expertise métier. Une réflexion passionnante à lire que je conseille à tous et à toutes.
Le greenwashing est une technique marketing consistant à mettre en avant des arguments écologiques pour améliorer l’image d’une entreprise alors que la réalité ne correspond pas ou pas assez au message véhiculé auprès du public. Sujet créant souvent la polémique, le greenwashing n’épargne personne et les marques, leur réputation sont les premières visées ! C’est comme si cette simple phrase « ne pas vouloir faire du Greenwashing » nous induisait déjà dans l’erreur !
«La confiance, c’est l’acceptation de la vulnérabilité, à l’opposé de la recherche de la perfection. Elle se construit sur le long terme, pas à pas, et n’est jamais acquise.» - Yonnel Poivre Le Lohé.
Yonnel, vous dites au début de l’ouvrage, je vous cite « Le cœur du métier de communicant n’est pas la maîtrise technique… Mais notre métier de communicants consiste à prendre un sujet et à l’adapter à des publics, pour que ces publics comprennent, ressentent, agissent différemment. C’est être une interface qui donne du sens et qui génère du mouvement. » Vous pouvez nous dire pourquoi vous commencez votre ouvrage par la solution sans le dire explicitement ?
Pour ce livre, j’avais une obsession : apporter beaucoup de valeur, et surtout le plus vite possible. Par respect du temps des lecteurs, et aussi parce que c’est ma conception du métier de consultant et formateur.
Ce passage en est un bon exemple : 20 ans de communication résumés en 3 phrases. Apporter en peu de mots ce qui peut changer la perspective, qui idéalement mène à des pratiques différentes, voilà un bel objectif.
Sur le fond, c’est une de mes convictions : la connaissance des publics peut devenir notre grande plus-value. Elle permet d’avoir un discours beaucoup plus efficace, de créer un lien fort avec nos publics.
Quelles sont les règles du jeu, la responsabilité et les accusations les plus fréquentes auxquelles l’annonceur est le plus invectivé ou pour le moins, pressé de répondre quand on parle de greenwashing ?
Merci pour cette question ! Elle est importante, parce qu’on se trompe sur les règles du jeu du greenwashing en pensant qu’il s’agit d’une controverse factuelle ou d’ordre juridique. Résultat, on cherche à amener plus de preuves, pour essayer d’imposer son point de vue, ce qui fait pire que mieux.
Le greenwashing est une question de perception et de relation. Ce qui fait que l’accusation arrive, c’est la perception que l’annonceur est illégitime dans son positionnement sur l’écologie.
La responsabilité des annonceurs est donc de maîtriser cette perception, autant que faire se peut. J’ai réalisé des entretiens avec des communicants dont le travail a été accusé de greenwashing, et à chaque fois l’accusation avait été une surprise. Surprenant... et anormal. Pour y remédier, la meilleure solution est de connaître les perceptions avant la diffusion, pas après. Bonne nouvelle : c’est plutôt facile à faire.
On constate 3 grands types d’accusations : l’accusation par comparaison (comparaison avec ce que je connais de l’annonceur, comparaison entre ce qui est montré et ce qui devrait être fait), l’accusation sur la sincérité ou la véracité de ce qui est avancé, et l’accusation de dissimulation. La nouveauté, c’est que l’accusation peut porter sur absolument n’importe quel sujet, tant qu’il peut être lié à l’écologie, ce qui est donc très large.
Quelle est votre définition du greenwashing sous le prisme des contraintes légales et comment être sûr, pour un annonceur d'être du bon côté ?
Ma définition, venons-y, parce qu’elle apporte une nouvelle perspective sur le sujet : le greenwashing est une accusation de récupération illégitime de l’écologie.
Pour qu’il y ait greenwashing, il faut être deux, et il faut qu’il y ait une accusation. Tant que le sujet n’est pas porté sur la place publique, il n’y a pas greenwashing – exactement comme dans les crises.
Ce n’est justement pas une question essentiellement juridique : les dénonciateurs ne vont pas se satisfaire qu’on leur dise que les campagnes respectent la loi. Un ami avocat me faisait remarquer que son métier, pratiqué comme il l’entend, vise à instaurer une discussion le plus en amont possible. Si c’est cela, on se rejoint ! Et c’est ma méthode : savoir avant coup quel positionnement est entendable.
On ne peut jamais être sûr à 100 % d’être du bon côté : ce sont les accusateurs qui décident si c’est du greenwashing, pas vous, ni moi (hélas !). C’est sans doute le plus compliqué, mais c’est la clé : admettre que nous n’avons pas la main sur ce sujet, et passer d’une volonté d’imposer à une volonté d’écouter.
Quelle est le rôle de l'information comme base de confiance et de communication pour les marques envers les consomacteurs ?
Les consomacteurs sont un public bien particulier, avec des attentes qu'on retrouve rarement ailleurs.
Plusieurs défis se présentent à nous :
- choisir l'information : souvent, quand j'ai terminé mon travail de recherche, je me retrouve avec une (trop) grande quantité d'informations, et ce public ne demande absolument pas de tout savoir;
- maintenir l'équilibre entre information et storytelling : les ressorts classiques fonctionnent avec ce public ! Mais pas n'importe comment, et surtout sans induire en erreur;
- adopter une posture juste : humilité, respect du public, explication des limites.
J'en reviens toujours à la même chose : l'essentiel est de connaître nos publics, pour savoir de quelle information ils ont réellement besoin.
La lutte contre le greenwashing des entreprises s’est imposée comme une priorité des organisations agissant en faveur de la transition écologique. Quelles sont les marques dont la communication en matière d'environnement sont des références ? Et selon vous pourquoi certaines Directions Générales sont-elles à la hauteur des enjeux et d'autres pas ?
L’exercice est délicat, parce que la perfection n’est pas de ce bas monde. Et méfions-nous du benchmarking : s’il est bien un sujet où copier sans adapter est dangereux, c’est bien celui-là.
J’aime beaucoup la façon de faire de la marque de textile Loom : ils communiquent peu, donnent accès à beaucoup d’informations, avec une posture qui consiste à ne pas se prétendre parfaits et à expliquer ce sur quoi ils buttent encore. De plus, ils se mettent dans un combat qui est plus large que leur entreprise, ce qui leur donne plus d’influence et de résonance. Ils sont parfaitement légitimes pour le faire.
Aussi dans les marques avec des budgets peu importants, Arcadie, qui vend des épices et des herbes, fait des choses remarquables. Regardez l’explication de leur utilisation de plastique pour les contenants de leurs épices : plutôt que de faire des raccourcis ou des fausses promesses, ils donnent les raisons de leur choix. C’est humble, pédagogique et surtout cela crée de la confiance.
Les points qui font la différence entre les directions « à la hauteur ou pas » : d’abord une organisation adaptée, sans silos, avec un vrai poids dans la gouvernance, et avec des équipes formées sérieusement au sujet ; une capacité d’écoute soutenue par une méthodologie pour recueillir des informations aussi peu biaisées que possible ; enfin, une vraie culture de la remise en question et du doute productif.
« Se confronter au greenwashing, c’est accepter qu’on ne maitrise pas tout, et qu’une grande partie de l’exercice est du côté des accusateurs, des autres. C’est donc réfléchir aux limites, les nôtres, celle qu’on impose, et celles de l’exercice. » - Yonnel Poivre Le Lohé.
J’ai choisi une citation dans votre ouvrage : « Éviter le greenwashing est un objectif, pas une garantie »... Existe-t-il une méthodologie pour éviter les accusations les plus fréquentes ?
Oui il y a une méthodologie pour faire du design d’action de communication, de A à Z. Elle occupe une grosse moitié de mon livre.
Le plus important est le début du process : si on commence par un brainstorming entre quatre murs, on va tout faire pour que la réalité se conforme à notre idée. Le travail créatif et même stratégique doit venir après un premier temps d’écoute des parties prenantes sensibles à l’écologie.
Ces entretiens sont le cœur de la méthode, et j’ai choisi de la rendre complètement accessible, depuis la façon de solliciter les entretiens, aux questions à poser, en passant par l’attitude à avoir, ou le système de prise de notes.
La suite de la méthode : un canevas anti-greenwashing pour prendre toutes les décisions en conscience, et des préconisations pour les messages et les visuels, sans oublier des pistes pour l’après diffusion.
Qu’est-ce qu'implique pour un DirCom le greenwashing dans sa communication ? Et est-elle devenue une fake news comme les autres ?
Il y a effectivement une proximité entre greenwashing et fake news : tous deux sont une remise en question des sources « officielles ». Qui est légitime pour prendre la parole ? En qui puis-je avoir confiance ?
Opérationnellement, tous deux nécessitent un travail de vérification interne. En communication, on travaille vite, et souvent on néglige le fact-checking.
Là où la comparaison s’arrête, c’est que le travail sur l’exactitude factuelle est bien loin de suffire pour remédier au greenwashing. D’une part, les solutions en écologie ne sont souvent ni binaires ni évidentes. Et surtout, d’autre part, plus que les faits, c’est la perception qu’il faut travailler pour éviter le greenwashing. On est pleinement sur du sensible, parfois de l’irrationnel, une question de qualité de la relation entre l’annonceur et les personnes sensibles à l’écologie.
En quoi la communication responsable, les précautions d’usages, les actions à long terme peuvent apporter une solution utile aux communications des marques ?
Derrière la communication sur l’écologie, il y a une question d’approche de la communication, liée à la temporalité. Mon ami et mentor Thierry Libaert a posé en 2010 les bases de la slow communication : en retrouvant le temps long, on peut mieux travailler autour d’axes qui sont « l’échange, le respect, la flexibilité des outils et la stabilité des messages ».
Je mesure bien à quel point le fait de recommander de regarder plus loin que l’année voire le trimestre peut être compliqué à entendre et surtout à réaliser. Nous communicants n’avons souvent pas de prise sur les contraintes qui s’exercent sur nous.
Cela appelle au développement de deux compétences : le lobbying interne, savoir convaincre et embarquer avec soi les bonnes personnes, et la transversalité, être capable d’interagir à un niveau stratégique global, en lien avec les autres métiers, spécialement le financier.
Dans ce monde d’incertitude, le terme de confiance est vital dans le développement économique des entreprises, le monde de l’information et de la relation entre les consomacteur et les marques. Quels seraient pour vous les axes stratégiques des actions de communication à réaliser, pour qu'advienne un monde de confiance et non plus de défiance ? Un monde non plus d'image, mais un monde de preuve !
La confiance est le socle de l’économie. Or elle ne se décrète pas. Là aussi, une idée reçue voudrait que confiance rimerait avec infaillibilité. Quand on regarde la définition académique de la confiance, elle parle plutôt d’acceptation de la vulnérabilité : c’est tout l’inverse de la perfection. La confiance naît de la conviction que cela se passe bien quand les choses vont de travers. D’ailleurs, les super-héros ne sont jamais totalement infaillibles…
Vouloir un monde parfait, c’est partir dans une quête impossible. Embrassons nos imperfections, et faisons ce qui est finalement l’essence de la communication : travaillons la relation avec nos publics.
Le mot de la fin :
Yonnel Poivre Le Lohé termine son ouvrage par « à l’impossible nul n’est tenu » surtout quand on se place du côté de l'accusé... De mon côté j’aurai tendance à dire « nul n’est parfait » et c’est très bien comme cela en vérité, car l’important c’est le mouvement que l’on fait l’un vers l’autre pour s’améliorer, pour s'écouter, pour mieux comprendre les exigences communes et les enjeux de chacun, et, tout bien considéré, mieux vivre ensemble, tout simplement !
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